Erik Van den Broeck – Joël Jolivet – Guido De Keyzer – Eric Saeys (NT)
En dehors des descentes classiques à la grotte de Saint-Marcel
d’Ardèche, Nature-Témoin a effectué huit séances dédiées à la mesure des
débits d’air et de gaz carbonique, pendant la saison chaude des années
2019-2022. Cette série de petites campagnes à pour but de commencer une chronique de mesures destinées à être utilisées, par exemple, dans le suivi des effets sur le karst par des changements climatiques, en rallonge de la campagne d'études Mines St-Etienne / Nature-Témoin / EPTB Ardèche / Agence de l'Eau-RMC, actuellement dans sa deuxième des quatre années.
La grotte de
Saint-Marcel fait partie du système karstique de Saint-Marcel-d’Ardèche, long
d’environ 65 kilomètres et actuellement le plus important du département de
l’Ardèche. Il se trouve en partie dans la réserve naturelle nationale des
gorges de l’Ardèche, ce qui explique l’intérêt de notre suivi. La grotte,
située sur la commune de Bidon, appartient à la commune de Saint-Marcel
d’Ardèche qui en exploite une partie pour des visites touristiques et
spéléologiques.
Ce système karstique, organisé sur cinq niveaux superposés dont deux noyés, s’étend sur un dénivelé de 325 m, entre +218 et -107 m par rapport au niveau de l’Ardèche. Officiellement, il compte 6 entrées naturelles : l’entrée historique, la galerie fossile débouchant à 87 m NGF dans les gorges de l'Ardèche, appelée l’entrée naturelle ; les grottes Deloly et du Bateau, la perte de la Cadière et la source de l’Ecluse, s’ouvrant au niveau de la rivière Ardèche dans les Gorges ; et l’Aven de Noël, l’entrée située la plus haute. Cette dernière se trouve à l’altitude de 262 m NGF et jonctionne avec la grotte de Saint-Marcel dans ses étages inférieurs, sans qu’une traversée exondée ne soit possible. En prenant en compte l'importante Galerie du Lac et sa probable paléo-accès par la grotte de la Tête du Lion et des rumeurs sur l'existence d'autres entrées non-déclarées dans des terrains privés, on peut supposer que la compréhension des flux thermodynamiques serait encore plus compliquée.
Notre campagne de mesures ne prétend à aucune conclusion définitive, vu qu’elles ne se trouvent que dans un stade préliminaire où nous avons essayé de définir un certain protocole opérationnel, afin que la mesure devienne répétable selon une méthode bien définie. Nous venons de commencer seulement à relater ces premières données aux caractéristiques physiques, géologiques, hydrologiques du karst des gorges de l’Ardèche et aux conditions météorologiques environnantes. En cours de route, nous rencontrerons certainement d’autres facteurs à mettre en relation avec les données, afin d’optimiser les calculs ou les résultats.
Pour les
opérations, nous avons utilisé le matériel suivant:
- CO2-mètre/Oxymètre DuO2-vKing 4Yb NDIR avec hygromètre et thermomètre infrarouge
- CO2-mètre Oldham C1100 avec SenseAir K30 NDIR
- Oxymètre Greisinger GOX-100
- Thermomètre à infrarouges Velleman
- Anémomètre La Crosse à hélice
- Bâche en PVC de 3x3 m avec opercule de mesure
- Quelques rubans d’adhésif velcro
- Leica Disto A3 avec carte DistoX1 par Beat Heeb
- Palm Tungsten T3 avec logiciel Auriga Topo par Luc Le Blanc
Synthèse des mesures effectuées à la grotte de Saint-Marcel d’Ardèche
(actualisé 07/2022, Nature-Témoin)
Remarques:
- Les
températures d'air, mesurées à l'ombre, ne correspondent en rien avec les
relevés fait à Bourg, ni à Saint-Remèze, d'où l'importance de (re)mettre en
opération une station météo extérieure dans le canyon des gorges de l'Ardèche.
Nous ne pouvons pas insister assez sur la remise en marche de la station au
bivouac de Gaud, par exemple.
Les mesures sur place diffèrent considérablement de celles des stations MétéoFrance, éloignées d'au moins de 10 kilomètres, par exemple:
à 9h30:
25.2 *C ( par rapport à la météo Gras: 19.8 *C; Bourg-St-Andéol: 20.6 *C; Prs: 1019.5 hPa Vent 12 kmh NNW rafales
27 kmh pluie 0)
à 15h30:
34.0 *C (par rapport à la météo météo Gras: 30.5 *C; Bourg-St-Andéol: 31.8 *C; Prs: 1018 hPa Vent 6 kmh SE rafales 18 kmh
pluie 0)
- La mesure
ponctuelle des débits d'air chargé à différent points dans la cavité montre que
souvent, le taux de CO2 sous la Cathédrale, au niveau de la trappe
du réseau III et au débouché de la galerie du Lac, est plus élevé qu'ailleurs
dans la partie Sud de la cavité.
- La mesure
ponctuelle des débits d'air chargé à différent points dans la grotte de
Saint-Marcel montre que son entrée fossile débouchant dans les gorges de
l'Ardèche, appelée l’entrée naturelle,
n'est que l'exutoire d'une partie du flux d'air total du système. Des mesures
en 2019 et 2020 ont montré qu'à l'étroiture "point 89" dans la
galerie des Boas, un courant d'air N-S plus important existe que celui sortant par
l'entrée naturelle. Afin de mieux comprendre ces flux d'air-carbone, il serait
intéressant de répéter régulièrement, en hiver aussi qu’en été, les mesures dans
les différents réseaux du système karstique de Saint-Marcel, en prenant note du
rattachement physique de l'Aven de Noël à celui-ci.
- Sans disposer
d'assez de données pour une représentation graphique, on constate d’année en
année la tendance croissante en température et en volume d'air chargé sortant
de l'entrée naturelle de la grotte de Saint-Marcel. En début de juillet 2022,
ce débit d'air chargé a déjà atteint les valeurs des apogées d’été de 2020 et
2021, pour une sortie record de 12,6 tonnes de CO2 le jour du
02/07/2022 ou 146,6 grammes par seconde. C'est l'équivalent d'émission de CO2
sur un trajet d'un kilomètre par une voiture moyennement polluante, mais ici dans un contexte entièrement naturel.
Pourtant, les
spéléologues du groupe de Bourg-Saint-Andéol, sortant ce jour-là de la cavité, nous
confirmèrent que le taux de gaz carbonique maximal rencontré pendant leur
visite n’était que de 1,6 %, ce qui est assez bas par rapport aux
concentrations rencontrées dans ces grottes.
Il n’y a donc pas
nécessairement besoin de constater une hausse de la concentration du CO2
pour s’exposer à davantage de gaz carbonique…
Il est important
de noter que l’entrée « naturelle »
a subie plusieurs modifications, lesquelles ont très probablement marqué des
changements dans le fonctionnement de l’aérologie de la cavite. A travers les
périodes géologiques auxquelles son porche naturel, large de douze mètres, a
changé d’aspect jusqu’aux derniers enfouissements après ses occupations
préhistoriques les plus récentes, l’agrandissement de 300% de l’entrée
naturelle lors des fouilles archéologiques au siècle dernier a précédé de nombreuses
modifications les quarante dernières années. Comme, entre autres :
- le mur en béton avec parement en pierre naturelle faisant partie de la protection des fouilles sous le porche ;
- l’installation d’une porte blindée faisant fermeture hermétique ;
- le remplacement de la porte blindée par une grille, début des années 2000 ;
- le creusement de 60 cm de vide sous toute la largeur du mur lors de la crue de 2002 ;
- la démolition du mur bâti et son remplacement par une grille et le recouvrement de 90% de la grille par des panneaux pleins en bois en 2017-2018.
Actuellement, la
superficie des ouvertures sous le porche d’entrée totalise environ un mètre
carré, mais en fonction du suivi post-travaux, celle-ci pourrait
progressivement être ouverte.
A chaque étape dans la séquence des aménagements, il est logique de rencontrer des changements du fonctionnement en matière de climatologie, comme nous le constatons par rapport aux mesures effectuées dans le cadre d’un suivi climatique de la cavité par le comité départemental de spéléologie de l’Ardèche de 2018, afin d’évaluer l’impact que pourraient avoir les travaux de modification du dispositif de fermeture.
Recommandation d’agrandir l’entrée ‘naturelle’ de Saint-Marcel
(Présentation à l'ICS en juillet 2022)
Lors d’une
communication au Symposium n° 6 de climatologie souterraine « Underground
air circulation modelling of the Saint-Marcel Cave (Ardèche, France) to adapt
the opening system of the cave entrance to optimal habitat conditions for
bats », pendant le 18e Congrès International de l’UIS en
Savoie, en date d’avant-hier, E. Berthomé a présenté les recommandations
d’une modélisation de la galerie appelée « l’entrée naturelle » de
la grotte de Saint-Marcel. L’agrandissement de l’ouverture actuelle de 1,8 à
3,8 m2 serait optimale pour la population de chauve-souris (ne
jamais très nombreuses, 70 spécimen en 2017) occupant cette galerie d’entrée. Lors de l’interrogation
de l’intervenant par le public, si le Groupe de Travail ait pensé à l’impact qu’un tel agrandissement de l’ouverture pourrait provoquer en matière des flux dans la partie profonde de la grotte, il semble que l’étude ne s’est concentrée que sur les
50 premiers mètres.
Nous soulignons
l’importance, lors d’un agrandissement de cette ouverture,
d’un suivi post-modificatif et l’évaluation, non seulement dans la galerie
d’entrée, mais partout dans la grotte, afin de connaître les impacts sur la climatologie entière de la grotte de Saint-Marcel d’Ardèche.
En d’autres mots, si on triple la superficie d’une entrée par laquelle passe un débit journalier dépassant les 500.000 m3 d’air chargé par jour, il serait intéressant de suivre ce que génère une réduction par facteur 2 de la résistance thermodynamique d'un flux partiel représentant la moitié des 981.000 m3 sortants au croisement des grands flux d’air dans la zone profonde, par exemple vers la Niche du Chien.
Malgré le confort à l’habitat des chauve-souris dans une seule zone d’entrée, pensons en particulier aux effets sur d'autres habitats, aux
changements des circulations d’air, pouvant provoquer des effets inverses, des évolutions dans le développement de certaines algues ou des mousses, à l'affinage du parc viticole ailleurs dans la grotte, ...
Bibliographie :
Berthomé E. et al. (2022), Underground air circulation modelling of the Saint-MArcel Cave (Ardèche, France) to adapt the opening system to optimal habitat conditions for bats. Actes du 18e Congrès International, UIS, Chambéry, Juillet 2022.
Brunet P., Dupré B., Faverjon M. (2008), La grotte de Saint Marcel d’Ardèche – co-édition CDS07.
LPO coordination Région Auvergne-Rhône-Alpes (2017), Dossier du réaménagement du dispositif de fermeture de l’entrée naturelle de la grotte de Saint-Marcel (Bidon) pour la conservation des chauves-souris. Dossier de demande d’autorisation de travaux dans la RNNGA et site Natura 2000 de la Basse Ardèche, groupes de travail et comité consultatif, 2016-2017, 20 pp.